Le droit d’auteur dans la rénovation immobilière

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Le droit d’auteur dans la rénovation immobilière

L’actualité (lien en fin d'article) s’est récemment faite l’écho des déboires d’un acteur américain qui avait décidé de rénover sa propriété provençale sans faire attention au droit d'auteur attaché à un système d’éclairage, ce qui avait conduit l’architecte d’intérieur à lui intenter un procès pour obtenir des dommages intérêts, au titre de son droit moral.

Ne pas tenir compte du droit moral de l’auteur des œuvres présente dans un bâtiment à rénover – le plus souvent des œuvres d’architecture ou de décoration d’intérieur – entrainera des poursuites, des demandes de dommages intérêts, et des retards de chantier si une suspension des travaux est ordonnée par la justice.

On parle souvent du droit moral de l’architecte, alors qu’en réalité, l’architecte est loin d’être le seul concerné. 

La difficulté est de savoir reconnaitre une œuvre protégée et de bien connaitre les actions à mettre en place pour éviter les aléas judiciaires qui retarderont les travaux et la livraison des biens, entrainant une responsabilité supplémentaire du  propriétaire ou du promoteur immobilier. 

Nous récapitulons ici l’état du droit, les risques encourus, et résumons les actions que nous mettons systématiquement en œuvre dans le cadre des études de faisabilité et visites d’expertise organisées avec nos clients.

1.  La protection d’une œuvre au titre du droit moral

En droit français, l’auteur d’une œuvre jouit sur celle-ci d’un droit moral qui lui confère, notamment, le droit au respect de son œuvre (a).

Ce droit s’impose au propriétaire du support matériel de l’œuvre. Ce dernier n’est en principe pas autorisé à altérer l’œuvre sans autorisation de l’auteur (b).

L’auteur ne peut toutefois pas prétendre à l’intangibilité sans limite de son œuvre : les besoins légitimes du propriétaire matériel de l’œuvre doivent également être pris en compte (c).

a) La notion d’œuvre d’art protégée

Le Code de la Propriété Intellectuelle pose le principe du droit d’auteur dans les termes suivants :

« L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous » (article L 111-1 du Code de la propriété intellectuelle).

Le Code de la propriété Intellectuelle dresse une liste non exhaustive des œuvres protégeables par le droit d’auteur parmi lesquelles comptent les œuvres de dessin, de peinture, d’architecture, de sculpture, de gravure, de lithographie, ainsi que les œuvres graphiques et typographiques.

  • Les œuvres sont protégées indépendamment de considérations liées à leur qualité ou à leur notoriété. La protection vaut quels que soient leur genre, leur forme d’expression, leur mérite ou encore leur destination (article L 112-1 du Code de la Propriété Intellectuelle).
  • La seule condition est celle de l’originalité de l’œuvre. On entend ici par originalité le fait que l’œuvre porte, dans sa forme, l’empreinte de la personnalité de l’auteur.

Dans le cas des œuvres repérées sur un chantier où Fieloux Avocats est intervenu, il s’agissait d’œuvres plastiques assimilables à une sculpture (des mosaïques et bas-reliefs en 3 dimensions, décorant les murs de certaines galeries d’un centre commercial).

Leur originalité ne semblait pas pouvoir être contestée, bien que la plupart des intervenants au chantier lui aurait refusé l’appellation d’œuvre d’art.

Pourtant, c’était bien une œuvre au sens du Code de la propriété intellectuelle et le caractère subjectif de sa « beauté » n’entre pas en ligne de compte. 

L’œuvre n’aurait pas été originale si, par exemple, il s’agissait d’une reproduction de motifs classiques connus dans l’histoire de l’art, ce qui n’était pas le cas ici.

b) L’interdiction d’altérer les œuvres sans l’accord de l’auteur.

La question de l’altération des œuvres touche plus particulièrement le droit moral car l’auteur jouit du droit au respect de son œuvre.

La protection des œuvres par le droit d’auteur implique plusieurs droits dont un droit à l’intégrité de l’œuvre.

Ce droit à l’intégrité de l’œuvre est  perpétuel, inaliénable et imprescriptible.

Il persiste après la mort de l’auteur et se transmet à ses héritiers ou à un tiers désigné par l’auteur dans son testament.

En vertu de ce droit, l’auteur est fondé à s’opposer à toute modification de son œuvre s’il estime qu’elle la dénature.

Il peut donc, a fortiori, s’opposer à la destruction de son œuvre.

Ce droit de propriété intellectuelle est opposable au propriétaire du support matériel d’une œuvre d’art, qui peut être un mur, un plafond, une cave.

Le propriétaire du support matériel de l’œuvre d’art est donc tenu de veiller à sa conservation : le simple fait de laisser l’œuvre se dégrader peut engager la responsabilité du propriétaire à l’égard de l’auteur de l’œuvre.

En principe, le propriétaire doit  s’abstenir de toute modification de l’œuvre d’art (Cour d’Appel Administrative, Bordeaux, 1e chambre, 27 décembre 1990).

Le déplacement d’une œuvre est en lui-même susceptible d’être considéré comme une altération portant atteinte à l’esprit de l’œuvre (TGI Paris 14 mai 1974, dans le cas d’une fontaine sculptée, déplacée sans l’accord de l’auteur).

Plus récemment, la Cour d’appel de Bordeaux a estimé que le fait pour le propriétaire d’une maison individuelle de recouvrir de peinture une fresque peinte sur l’un des murs de sa salle à manger était constitutive d’une atteinte fautive au droit moral de l’auteur de la fresque (Cour d’Appel de Bordeaux, 7 nov. 2022)

c) Les limites à l’intangibilité de l’œuvre

Le droit moral énoncé précédemment est nuancé par la prise en compte des intérêts légitimes des propriétaires du support matériel des œuvres d’art.

Le juge cherchera à préserver l’équilibre entre les prérogatives des auteurs et celles des propriétaires (CA Paris, 2 déc. 2016).

Cette mise en balance des intérêts est effectuée au cas par cas par les juridictions tant judiciaires qu’administratives (CE, 15 oct. 2014, n° 353168).

Dans le cadre de cette recherche d’équilibre, le juge tient compte de plusieurs éléments :

  • L’altération ou la destruction de l’œuvre est-elle une réponse nécessaire et proportionnée à des besoins nouveaux et légitimes du propriétaire ? Le juge considère que le propriétaire est en droit d’apporter des modifications lorsqu’il est nécessaire de l’adapter à des besoins nouveaux. Pour être légitimes, ces modifications doivent être strictement nécessaires et proportionnées au but poursuivi.
  • Quelle est la vocation utilitaire et fonctionnelle de l’œuvre ?  Cette prise en compte du caractère fonctionnel de l’œuvre architecturale rejaillit également sur les œuvres telles les sculptures qui, du fait de leur configuration, sont imbriquées dans un ensemble immobilier. Ainsi le choix de l’implantation de sculptures dans un ensemble commercial implique un certain aléa, et le propriétaire est en droit d’y apporter des modifications s’il est nécessaire de l’adapter à des besoins nouveaux (CA Paris, 1ère chambre 24 juin 1994, Tissinier c/ SA Frankoparis).
  • La durée de divulgation de l’œuvre a-t-elle été suffisante ? Dans l’hypothèse d’une démolition complète de l’œuvre, le juge tiendra compte du fait qu’elle a déjà été largement divulguée, c’est- à-dire accessible au public. 
  • L’entretien de l’œuvre nécessite-t-il des efforts excessifs de la part du maître d’ouvrage ? Le juge tient compte du caractère éventuellement excessif des efforts nécessaires au maître d’ouvrage pour entretenir l’œuvre et la maintenir en l’état. 
  • Y a-t-il comportement éventuellement fautif du maître d’ouvrage ? Il s’agit de prendre en compte les efforts du propriétaire pour tenir compte des intérêts de l’auteur et de son droit à l’intégrité de l’œuvre.

Les juges considèrent que, quels que soient les motifs par ailleurs légitimes pour lesquels le propriétaire est appelé à intervenir sur l’œuvre, il doit au moins en avertir son auteur.

Si le propriétaire du support matériel de l’œuvre a fait tout son possible pour échanger avec l’auteur de l’œuvre et rechercher une solution équilibrée, sa responsabilité ne peut pas être engagée (CA Paris, 10 mars 2020, n° 18/08248).

En revanche, en présence d’un maître d’ouvrage indélicat ou « oublieux », le juge aura plus facilement tendance à considérer que l’atteinte au droit moral de l’auteur est caractérisée.

Dans les années 2010, l’architecte Paul Chemetov  avait engagé deux  actions judiciaires contre la démolition programmée de grands ensembles immobiliers qu’il avait conçus au début des années 1970 et au début des années 1980, soit  respectivement 40 et 30 ans auparavant.

Dans les deux cas la Cour d’Appel de Paris a considéré qu’il n’y avait pas d’atteinte au droit moral de l’architecte compte tenu des besoins légitimes auxquels répondait la démolition et compte tenu du fait que ces ensembles avait fait l’objet d’une divulgation suffisamment longue.

2. Risques opérationnels pour les maîtres d’ouvrage

D’une manière générale, modifier, détruire ou déplacer une œuvre d’art sans l’autorisation de son auteur emporte un risque juridique réel. Les cas de condamnations à ce titre ne sont pas rares.

Le risque est financier et opérationnel. 

a) La condamnation au paiement de dommages et intérêts

Le maître d’ouvrage, comme le maître d’œuvre, peuvent voir leur responsabilité engagée à l’égard de l’auteur de l’œuvre, et être condamnés à lui payer des dommages et intérêts en réparation de l’atteinte portée à son droit moral.

Les sommes allouées au titre de la violation du droit moral sont souvent relativement modestes, parfois même 1 euro symbolique, mais cela dépendra aussi de la notoriété de l’auteur ou de l’œuvre elle-même, en plus des demandes de l’auteur.

Par exemple, un maître d’ouvrage qui avait détruit une mosaïque a été condamné à indemniser l’auteur à hauteur de 10 000 € en contrepartie de l’atteinte portée à son droit moral (TGI Paris, 3e ch. 1re sect., 19 oct. 2017).

b) La suspension des travaux

Le maître d’ouvrage peut être confronté à une demande de suspension des travaux notamment dans le cadre d’une procédure de référé engagée sur le fondement des articles 834 ou 835 du Code de procédure civile :

Article 834 : « Dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal judiciaire peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend. »

Le juge peut donc ordonner la suspension des travaux si l’atteinte au droit d’auteur est suffisamment caractérisée (TGI de Paris, 3e chambre 1re section, 18 octobre 2016).

Art. 835 : « Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite (…) »

Le juge des référés peut également suspendre les travaux s’il estime que la question de l’atteinte au droit moral nécessite d’être examinée au fond avant toute poursuite des travaux (CA Douai, ch. 1 sect. 2, 13 déc. 2018).

Le juge des référés considère que des travaux qui tendent à détruire la plupart des éléments d’une composition ornementale, sans aucune concertation préalable avec l’auteur pour envisager des alternatives à cette démolition, caractérisent un trouble manifestement illicite qui justifie la suspension immédiate des travaux.

c) Les risques de sanctions aggravées 

Les magistrats sanctionnent plus facilement les maîtres d’ouvrage qui n’ont pris aucune précaution pour contacter, en amont des travaux, l’auteur de l’œuvre concernée et évoquer avec lui le devenir de celle-ci.

Ainsi, même lorsque la destruction d’une œuvre peut être justifiée par des besoins nouveaux, le juge considère que le droit moral de l’auteur implique que le propriétaire agisse avec précaution et discernement.

Il faut pouvoir démontrer d’avoir tenté de sauver ce qui peut l’être.

Les magistrats attendent du maître d’ouvrage qu’il engage des démarches sérieuses pour entrer en contact avec l’auteur ou ses ayants droit afin de les associer à la décision relative à la destination de l’œuvre ou envisager les diverses solutions de dépose.

3. Nos recommandations pour limiter ces risques 

Le risque opérationnel et financier lié à l’atteinte au droit moral par altération ou démolition d’œuvres d’art est réel. 

Certaines précautions préalables permettent de limiter ce risque.

Fieloux Avocats vous recommande – au minimum – de mettre en place les actions suivantes et peut vous accompagner dans ces démarches.

  • Action n° 1 : Recenser, identifier et documenter l’ensemble des œuvres susceptibles d’être impactées par le projet de restructuration.
  • Action n° 2 : Engager des démarches sérieuses et traçables pour tenter d’identifier les auteurs des œuvres.
  • Action n° 3 : Définir l’impact exact du projet sur ces œuvres (par exemple, faudra-t-il casser un mur pour pouvoir déplacer l’œuvre incrustée ?).
  • Action n° 4 : Développer les besoins et motifs qui rendent nécessaire l’impact sur l’œuvre.
  • Action n° 5 : Tenter de contacter les auteurs pour leur proposer une présentation du projet et son impact sur leur œuvre.
    • Face à des auteurs vindicatifs ou opportunistes, une posture plus ou moins ferme devra s’apprécier au cas par cas. 
  • Action n° 6 : Envisager une action de préservation de la mémoire des œuvres et du site.
    • Les actions de préservation pourraient prendre la forme d’une exposition virtuelle (en ligne ou sur panneaux d’affichage) ou de toute autre démarche de communication pouvant répondre au besoin des auteurs de conserver la mémoire de leurs œuvres dans leur contexte initial. 
    • Nous attirons toutefois l’attention du lecteur sur le fait qu’une exposition des œuvres nécessitera également l’accord des auteurs au regard de leurs droits patrimoniaux, c’est-à-dire leur droit à rémunération ou à compensation, même en cas d’exposition gratuite.

Au-delà de ces 6 actions génériques, chaque cas particulier demande une approche spécifique.

Fieloux Avocats est à votre disposition pour mettre au point les aspects pratiques tels que la négociation avec les auteurs ou la mise en place d’actions préventives supplémentaires.

Conclusion

La prise en compte du droit moral des auteurs dans les projets de rénovation immobilière est un oubli fréquent.

Or, le non-respect de ce droit peut entraîner une cascade de conséquences juridiques et financières significatives pour les maîtres d’ouvrage, y compris des poursuites judiciaires, des demandes de dommages intérêts, et des retards dans les travaux.

La jurisprudence française, en équilibrant les droits des auteurs avec ceux des propriétaires, offre une certaine flexibilité, mais exige une approche respectueuse des œuvres d’art.

Il est donc important pour les maîtres d’ouvrage – qu’ils soient professionnels ou non – de s’engager dans une démarche proactive, comprenant l’identification et la documentation des œuvres, la recherche des auteurs, l’évaluation de l’impact des travaux sur les œuvres, et la recherche de solutions équilibrées en concertation avec les auteurs ou leurs ayants droit.

Chaque client est unique, et chaque solution doit l’être aussi. 

Contactez-nous dès aujourd’hui pour  découvrir comment atteindre vos objectifs avec assurance et expertise.

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