En matière de succession, les solutions présentées ci-dessous pour transmettre un patrimoine peuvent servir à concilier des intérêts divergents, pour empêcher des conflits latents de devenir des procédures judiciaires interminables, d’où les familles ne ressortent pas indemnes.
1. Un cadre légal strict avec des possibilités
En France, le Code civil prévoit des règles impératives en matière de succession, notamment la réserve héréditaire. Cette dernière garantit à certains héritiers, dits réservataires (les enfants descendants en particulier), une part minimale du patrimoine en héritage.
Selon le nombre d’enfants, il est en principe possible de transmettre librement une part correspondant à 50% (un enfant), 1/3 (deux enfants), ou 25% (trois enfants et plus) de son patrimoine, le reste étant réservé aux héritiers réservataires.
En réalité, plusieurs stratégies peuvent être mises en place pour améliorer les condition de la transmission successorale du patrimoine en ne lésant pas les héritiers réservataires: le but est de ne pas leur imposer un poids dont ils ne veulent pas, notamment si une partie du patrimoine consiste en une société envers la gestion de laquelle ils n’éprouvent aucune appétence.
a) Les avantages matrimoniaux
Les époux peuvent par contrat de mariage, se consentir des avantages matrimoniaux constitués par la part supplémentaire octroyée à l’un des époux par rapport au jeu normal du régime légal de la “communauté réduite aux acquêts”, c’est-à-dire que la communauté sera limitée aux biens acquis ensemble par les époux à partir de leur mariage.
Le plus souvent, il suffira d’opter en faveur d’un régime de communauté universelle par lequel tous les biens de chacun des époux tombent dans la communauté, et de ne surtout pas oublier d’ajouter une clause d’attribution intégrale au dernier survivant.
En conséquence, le survivant recueillera, avant succession et donc avant la participation des héritiers, l’intégralité du patrimoine de son conjoint.
Attention: en présence d’enfants issus d’une première union, l’avantage matrimonial peut faire l’objet d’une réduction afin de ne pas léser ces derniers.
b) Les donations au dernier vivant
Les époux peuvent se consentir mutuellement, par testament ou par contrat de mariage, des donations au dernier vivant. Ces donations permettent à l’époux survivant de recevoir une part de patrimoine plus importante que celle qui lui reviendrait en l’absence de disposition particulière.
Comme nous l’avons vu précédemment, la donation au dernier vivant permet de transmettre au maximum l’équivalent de la quotité disponible, soit 1/2, 1/3 ou 1/4 selon le nombre d’enfants, augmentée de l’usufruit de la réserve héréditaire.
En d’autres termes, le conjoint survivant reçoit l’usufruit du bien (usage et perception des revenus tirés de ce bien), alors que les enfants devront réclamer “la reconstitution de leur réserve”, qui ne sera disponible qu’en nue-propriété (propriétaire ne pouvant pas disposer du bien ou des revenus qu’on en tire).
Ce n’est qu’au décès du conjoint survivant que les enfants pourront recevoir la pleine propriété des biens concernés.
c) L’assurance-vie, un outil de transmission privilégié
L’assurance-vie est souvent utilisée pour transmettre des capitaux hors succession. Les sommes versées sur un contrat d’assurance-vie ne font pas partie de la succession et n’entrent donc pas dans le calcul de la part de réserve devant revenir aux enfants.
Elles peuvent donc être transmises librement à la personne désignée comme bénéficiaire.
Cependant, certains critères doivent être respectés :
- Les sommes versées ne doivent pas être manifestement exagérées eu égard au train de vie de l’assuré (article 132-13 Code des Assurances).
- La clause bénéficiaire doit exister dans la police d’assurance et être soigneusement rédigée pour profiter au bénéficiaire, qui doit être nommé.
- Un aléa doit exister au jour de la souscription de l’assurance-vie. Une assurance-vie contractée juste avant le décès – à une date où aucun doute n’est possible – ne contiendrait pas un tel aléa (le décès prochain n’étant pas aléatoire).
A défaut de respecter ces conditions, les sommes concernées feront l’objet d’une réintégration dans la succession.
d) Les sociétés civiles pour une gestion maîtrisée
La création d’une société civile permet de détenir et de gérer son patrimoine immobilier ou financier de manière centralisée. C’est un outil particulièrement adapté pour organiser sa succession, notamment en dissociant la “nue-propriété” des biens de leur “usufruit”.
La constitution d’une société civile permet en plus de transformer un patrimoine immobilisé, difficilement transmissible et divisible, en un patrimoine circulant, aisément cessible : des parts sociales se transmettent en effet plus facilement qu’un bien immobilier, et donne la possibilité de moduler la quantité de parts transmises.
De plus, le recours à la société civile permet de corréler aux parts sociales représentatives du patrimoine immobilier, d’éventuels comptes courants d’associés, ce qui permet de moduler comme on le souhaite la part de réserve revenant à chacun des enfants.
e) Les donations hors part successorale
La donation de tout ou partie du patrimoine hors part successorale peut être faite au profit d’un héritier réservataire sans empiéter sur la réserve héréditaire, en la décomptant de la quotité disponible.
Concrètement, cette donation aura d’abord pour effet de favoriser l’enfant bénéficiaire qui recevra une part de patrimoine plus importante que ses frères et sœurs. Ces derniers pourront contester si la donation hors part successorale excède la quotité disponible, c’est-à-dire la part de patrimoine qu’une personne peut donner librement par donation ou testament sans empiéter sur les droits des héritiers réservataires.
f) Les stratégies internationales pour déshériter ses enfants
Le droit international privé offre des outils d’optimisation pour ceux qui résident hors de France ou qui disposeraient d’une double nationalité, et dont tout ou partie du patrimoine est situé dans cet autre pays.
En Europe, Le règlement européen 650/2012 dit “Règlement Succession” permet désormais de choisir la loi applicable à sa succession.
La loi choisie peut être soit la loi de l’État de résidence habituelle, soit la loi de l’Etat de la nationalité du défunt. On notera aussi que l’Etat choisi peut être situé hors de l’Union Européenne.
Or, il n’est pas rare que d’autres pays ignorent la règle de la réserve héréditaire instaurée en France, rendant l’application de celle-ci incertaine ou sujette à contestation devant les tribunaux de cet autre pays.
Exemple de succession internationale.
Imaginons une star de la chanson française avec de nombreux enfants issus de multiples mariages. En tant que résidant californien, sa succession se règle en application du droit Californien, et son testament est rédigé en application du droit américain.
Un tribunal français est saisi par des héritiers de nationalité française qu’il a déshérité. Ils réclament leur réserve héréditaire, qui n’est pas reconnue en droit californien mais qui est impérative en droit français.
En application de la jurisprudence française, le tribunal jugera que la réserve héréditaire ne fait pas partie de l’ordre public international français, de sorte qu’une loi étrangère applicable à une succession impliquant des ressortissants français et ignorant la réserve héréditaire française n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français.
Les héritiers n’obtiendront en principe pas gain de cause. Cependant, le juge peut estimer que l’application de la loi étrangère serait trop préjudiciable aux héritiers réservataires pour être appliquée en France.
2. Cas pratique: planification successorale
Prenons l’exemple de Monsieur Dupont, chef d’entreprise, qui souhaite préparer sa succession.
Il a deux enfants avec lesquels les relations sont un peu tendues. Il souhaite protéger son épouse et transmettre la gestion de son entreprise à son neveu qui s’implique déjà avec passion dans l’entreprise de son oncle.
De leur côté, les enfants ne cachent pas leur souhait de vendre cette entreprise qui ne les intéresse pas à un organisme dont la réputation laisse présager (a) la vente des machines de production et (b) le licenciement de tous les employés, et donc (c) la fin de l’entreprise que M. Dupont a mis une vie à construire, en plus de (d) la perte d’un savoir-faire unique en France.
Monsieur Dupont est inquiet et n’en dort plus : il souhaite trouver un moyen de préserver l’entreprise et de protéger ses employés, sans toutefois léser ses enfants à qui il ne peut pas reprocher de ne pas avoir la même vocation que lui.
Il se tourne alors vers Fieloux Avocats pour mettre au point une stratégie sur mesure qui assurera que ces objectifs sont atteints.
Voici quelques unes des options disponibles pour élaborer cette stratégie:
a) Stratégie patrimoniale et pacte d’actionnaires
Avec l’aide du cabinet, les époux Dupont commencent par modifier leur régime matrimonial en faveur d’une communauté universelle “avec clause de préciput” portant sur les biens que se disputeraient ses deux enfants, ainsi que sur l’entreprise.
Les époux renforcent ensuite cette communauté universelle par deux testaments séparés leur imposant le respect d’un pacte d’actionnaires rédigé spécialement à cette occasion, afin de sécuriser la transmission de l’entreprise au neveu.
Ce pacte prévoit une option de rachat des parts à un prix avantageux au bénéfice du neveu, garantissant ainsi la continuité de l’entreprise et des emplois qu’elle crée.
La “clause de préciput” permet au conjoint survivant de prélever certains biens du patrimoine commun, tels qu’un logement ou une assurance-vie, avant tout partage et sans que ces biens ne viennent s’imputer sur sa part successorale.
Son origine remonte au 15ème siècle, quand le préciput désignait un « avantage accordé à un membre du clergé lors du partage d’un bénéfice ». Aujourd’hui, le mot conserve cette notion d’avantage accordé à une personne au moment d’un partage.
b) Levées de fonds et Private Equity
Le capital investissement (Private Equity) est une expertise de Fieloux Avocats qui peut venir en aide aux entrepreneurs.
Pour renforcer la structure financière de l’entreprise avant sa transmission, une levée de fonds est organisée. Fieloux Avocats accompagne Monsieur Dupont pour lui présenter les options disponibles, étudier les conséquences fiscales ou prévoir des clauses spécifiques vis-à-vis de nouveaux investisseurs.
Concrètement, les fonds levés serviront à payer les enfants et les écarter de l’entreprise dont ils ne veulent pas, sans les léser financièrement, ce qui se fait au moyen d’une donation-partage.
Au jour du décès de M. Dupont, la transmission de l’entreprise aura été définitivement réglée.
c) Patrimoine immobilier et société civile
Monsieur Dupont possède également un patrimoine immobilier conséquent, qu’il veut bien transmettre à ses enfants tout en assurant des revenus pour son épouse.
Fieloux Avocats l’assiste dans la création d’une société civile immobilière (SCI, dont l’activité est la détention et la valorisation du patrimoine immobilier) lui permettant de transmettre progressivement la nue-propriété des parts à ses enfants, tout en conservant l’usufruit, et donc les revenus locatifs, jusqu’à son décès.
Afin de favoriser son épouse, il stipule une “clause de réversion d’usufruit” au profit de celle-ci.
Ainsi, au décès de M Dupont, son épouse continuera de bénéficier des revenus locatifs jusqu’à son propre décès.
Conclusion
Si la loi protège la part légitime des héritiers réservataires, elle offre des possibilités pour organiser une succession de manière à respecter au mieux les souhaits du transmettant, tout en restant dans le cadre légal.
Il faut savoir que mettre en œuvre ces stratégies patrimoniales demande des compétences qui vont au-delà du seul droit des succession pour englober des domaines annexes tels que le droit des sociétés, le capital-investissement, le capital-transmission, la fiscalité et l’immobilier.
Il est donc fortement conseillé de se faire accompagner par des professionnels expérimentés comme Fieloux Avocats dans le but d’explorer toutes les options disponibles et mettre en place la stratégie successorale la plus adaptée à chaque situation personnelle, tout en éliminant les risques de contestations ultérieures.
Exemples de jurisprudence en matière d’exhérédation
- Cass. 1re civ., 9 nov. 2016, n° 15-27064 (accéder à la jurisprudence): la Cour de cassation rappelle qu’une libéralité qui porte atteinte à la réserve, même si elle a été consentie à un tiers, est réductible à la quotité disponible (Cass. 1re civ., 16 déc. 2015, n° 14-29758).
- Cass. 2e civ., 19 oct. 2011, n° 11-40063 (accéder à la jurisprudence): La Cour de cassation rappelle les règles du rapport à la succession et celles de réduction pour atteinte à la réserve des héritiers ne s’appliquent pas au capital ou à la rente payables, lors du décès d’une personne qui a contracté une assurance sur la vie, à un bénéficiaire déterminé, ni aux primes, à moins que celles-ci n’aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés, ne créent pas en elle-même de discrimination entre les héritiers ni ne portent atteinte au principe d’égalité et que, par ailleurs, les primes manifestement exagérées peuvent être réintégrées par le juge dans la succession.
- Cass. 1ère civ, 27 septembre 2017, n° 16-17.198 (accéder à la jurisprudence): la réserve héréditaire ne fait pas partie de l’ordre public international français (bien qu’elle fasse partie de l’ordre public interne, NDLR).