Les managers qui envisagent de racheter leur entreprise sont le plus souvent déjà engagés dans un contrat de travail ou de prestation de services qui contient des engagements spécifiques inhérents à leur statut. Il peut s’agir d’obligations contractuelles ou d’obligations découlant de la loi.
Le premier réflexe d’un actionnaire qui découvre qu’un manager de sa société s’apprête à lui racheter son entreprise devrait être de s’assurer qu’aucun comportement fautif ne peut lui être reproché.
Pour une entreprise, la découverte par son actionnariat d’un projet de MBO non concerté qui se trame peut être déstabilisant, voire préjudiciable.
A l’inverse, il n’est pas rare que ce soit le propriétaire de l’entreprise qui souffle à son management l’idée d’un MBO.
Dans tous les cas, la faisabilité du projet va supposer, à un stade où rien ne garantit son succès, que les informations les plus sensibles de l’entreprise vont devoir être divulguées et partagées avec des tiers.
Mais les relations entre le propriétaire et le management peuvent se détériorer lors des négociations. Ces dernières peuvent échouer.
Le manager s’expose aussi à perdre son poste et à engager sa responsabilité tandis que des informations sensibles, qui contribuent à la valorisation de la société, ont été divulguées ce qui peut porter préjudice à son propriétaire.
Des précautions sont donc indispensables pour structurer un projet de MBO.
Dans cet article, nous exposons les risques encourus par un manager qui envisage de racheter l’entreprise qui l’emploie au regard de :
- l’obligation d’exclusivité et de loyauté ,
- l’obligation de non concurrence, non démarchage et non débauchage,
- l’obligation de confidentialité ,
- le risque de mise à pied.
L’obligation d’exclusivité et de loyauté
Une clause de ce type peut figurer dans un contrat de travail ou de prestation de services d’un manager :
« Le salarié s’engage à consacrer de façon loyale et exclusive son activité professionnelle à la Société et devra impérativement obtenir l’accord préalable et écrit de la Société préalablement à toute autre activité professionnelle. »
Cette clause impose au contractant de consacrer l’intégralité de son temps de travail à son employeur et de ne pas exercer – dans le même temps – une autre activité professionnelle qui nuirait à l’exécution de sa mission.
Un salarié méconnaitrait son obligation d’exclusivité si le temps qu’il devrait consacrer à son employeur était en réalité passé à discuter d’une opération qui ne fait pas partie de ses missions, ou à se rendre à des réunions avec de potentiels fonds d’investissement.
Cependant, ce type de clause ne peut pas empêcher le manager d’avoir une vie privée et de solliciter, hors des heures de travail, les conseils d’un avocat quant à l’étendue de ses obligations dans la mesure où il envisage un rachat.
Le conseil qu’il recevra est d’être particulièrement vigilant car toute démarche allant au-delà de la consultation d’un avocat sur sa situation personnelle, est susceptible de constituer une violation de son obligation d’exclusivité.
L’avocat peut jouer un rôle de facilitateur dans la mesure où les échanges avec son client sont couverts par le secret professionnel.
L’accompagnement du salarié, dès le début du projet, par un avocat rodé aux opérations de MBO peut donc être décisif pour concrétiser la reprise tout en protégeant le manager.
Engagements de non concurrence, de non démarchage et de non débauchage
Typiquement, une clause contenant des engagements de non concurrence, pourrait être rédigé comme suit :
« Afin de protéger les intérêts légitimes de la Société dans le secteur d’Activité, en raison de la forte concurrence actuelle et à venir, [le cadre] s’engage tant qu’il aura la qualité de salarié ou de mandataire social de la Société ou de l’une des entités du Groupe, et pendant les deux (2) années suivant la date à laquelle il cessera d’avoir la qualité de salarié ou de mandataire social de la Société ou de l’une des entités du Groupe, pour quelque cause que ce soit, et sur le Territoire :
- à ne pas collaborer directement ou indirectement en qualité de salarié ou de non salarié (prestataire de service, mandataire social, consultant ou autre) pour une entreprise, une personne physique ou morale ayant une activité directement concurrente des Activités ;
- à ne pas collaborer directement ou indirectement en qualité de salarié ou de non salarié (prestataire de service, mandataire social, consultant ou autre) pour une entreprise, une personne physique ou morale qui serait cliente du Groupe au jour de la cessation de ses fonctions, en vue d’y développer ou d’y exercer une activité directement concurrente des Activités ;
- à ne pas investir ou participer de quelque manière que ce soit dans une entreprise ou un projet dont l’activité ou l’objet sera directement concurrent ou similaire aux Activités ;
- à ne pas créer directement ou indirectement par personnes interposées, une entreprise ou une entité ayant une activité ou un objet directement concurrent ou similaire aux Activités.
Un engagement de non débauchage et de non démarchage peut être le suivant :
«[Le cadre] s’engage, aussi longtemps qu’il aura la qualité de mandataire social ou de salarié de la Société ou de l’une des entités du Groupe et pendant une période de deux (2) années suivant la date à laquelle il cessera d’avoir la qualité de mandataire social de la Société ou de l’une des entités du Groupe, pour quelque cause que ce soit, à ne pas :
- démarcher de quelque manière que ce soit les clients du Groupe et plus généralement contracter des relations commerciales similaires à celles conduites par le Groupe avec un de ses clients en vue d’exercer ou de développer directement ou indirectement, par personne interposée, personnellement ou pour le compte de tiers, une activité ou un objet directement concurrent ou similaire des Activités ;
- solliciter, inciter ou recruter, directement ou indirectement ou par personne interposée, pour son propre compte ou pour le compte de tiers, toute personne ayant occupé des fonctions de salarié ou de mandataire social au sein du Groupe. »
Combinées à un engagement d’exclusivité, les clauses ci-dessus empêcheraient non seulement un manager de recueillir l’opinion de clients et de fournisseurs pour sonder leur soutien à un projet de rachat, mais aussi seraient un obstacle à la constitution d’une équipe de dirigeants et cadres clés.
Un bailleur de fonds s’attendra, habituellement, à ce qu’une équipe dirigeante comprenne au moins un dirigeant opérationnel, un responsable commercial, et probablement un directeur administratif et financier, ainsi qu’un responsable des ressources humaines et tout autre cadre nécessaire à la bonne marche de l’entreprise.
La démarche consistant à discuter avec des collègues de la possibilité de racheter l’entreprise qui les emploie pourrait bien placer le manager en contravention avec ses obligations de son contrat de travail ou sa convention de prestation de services.
Le manager prudent aura à l’esprit que, s’il est démis de ses fonctions par son employeur qui lui reproche d’avoir initié un projet de rachat, il restera tenu, pendant plusieurs mois après la cessation de ses fonctions, des engagements de non concurrence, de non démarchage et de non débauchage, sauf si ces derniers sont inapplicables car disproportionnés.
L’obligation de confidentialité
Les employés ont le devoir de ne pas divulguer ou d’utiliser des informations relevant de l’entreprise, considéré eu égard à des circonstances particulières comme étant confidentielles ou qui relève du secret des affaires. Il s’agit d’une obligation qui pèse sur tout salarié présent dans l’entreprise et qui est forcément plus forte pour les dirigeants et cadres de l’entreprise.
De plus, outre la loi, les contrats de travail, de prestation de services ou de collaboration concluent avec les personnes clés prévoiront une clause spécifique pour préciser et renforcer l’obligation de confidentialité et protéger la Société employeur.
Un exemple de clause pourrait être celui-ci :
« [Le cadre] reconnaît que toutes informations et connaissances qu’il pourra acquérir sur la Société et les activités dans le cadre de l’exécution de la présente Convention sont et doivent demeurer confidentielles.
En conséquence, pendant toute la durée de la Convention et pendant les vingt–quatre (24) mois qui suivront la cessation de la présente Convention pour quelque cause que ce soit, il s’engage, tant pour lui-même que se portant fort de toute personne qu’il fera intervenir dans le cadre de l’exécution de sa Mission, à ne rendre publiques ni communiquer à des tiers ces informations, sauf autorisation préalable écrite de la Société. »
En pratique, ce sont ces obligations de confidentialité qui engendrent le plus de difficultés pour un dirigeant ou un cadre qui souhaite préparer le rachat de la société qui l’emploie.
Ces obligations vont souvent empêcher le manager à communiquer à de potentiels bailleurs de fonds, les informations financières dont ces derniers ont besoin pour évaluer si un rachat est ou non envisageable.
Ces obligations de confidentialité peuvent aussi empêcher le manager de réaliser un business plan, puisque celui-ci est nécessairement basé sur les informations propres à l’entreprise.
Un employeur peut faire cesser, relativement facilement, et immédiatement la violation d’engagement de confidentialité commise par un manager : mise à pied conservatoire, référé injonction, licenciement pour faute lourde ou grave sans indemnité.
La mise à pied
Il est relativement aisé pour un employeur d’utiliser les clauses précitées pour empêcher un manager de lancer un MBO. Toutes les démarches initiées pour envisager un rachat, comme en parler à des investisseurs et à des collègues, établir un business plan ou divulguer des informations financières, permettront à l’employeur de démontrer une faute, et de se séparer du manager, qui n’aura donc plus accès à ces informations.
Cette mise à pied conservatoire est souvent préalable, le temps de la mise en œuvre des procédures légales et contractuelles, conduisant à la rupture du contrat entre le manager et l’entreprise.
Comme on le voit, les devoirs qui pèsent sur un manager, que ce soit dans la loi ou dans son contrat qui le lie à l’entreprise, et qui protègent l’entreprise qui le rémunère, sont suffisamment explicites pour permettre à un employeur de prendre l’initiative de se séparer, et d’engager la responsabilité, d’un manager qui initierait des démarches pour lancer un MBO.
Il est donc essentiel qu’un manager sonde son employeur avant d’entamer réellement des démarches pour soumettre une offre.
Si cette approche de l’employeur est faite suffisamment tôt, avant que le manager ait consacré du temps à son projet de reprise, ou à communiquer des informations financières à une tierce partie, il est peu probable que l’on puisse lui reprocher la violation d’obligation vis-à-vis de son employeur.
Une série d’engagements seront alors à prévoir, directement en lien avec la préparation d’une offre de reprise, ce qui permettra de prévoir, et d’encadrer, des exceptions aux obligations habituelles qui pèsent sur le manager et qui l’empêchaient de convenablement préparer son projet.
Il s’agira également, pour le manager, d’essayer d’obtenir une exclusivité du propriétaire de l’entreprise pour lui permettre d’avoir une période pendant laquelle il sait pouvoir mobiliser du temps et des ressources sur ce projet de reprise sans prendre le risque d’être coiffé sur le poteau par un autre repreneur.
Dès ce stade, l’intervention d’un avocat habitué à ces processus est recommandée.
Recueillir très tôt l’accord de son employeur pour tenter de monter son projet de rachat sera d’ailleurs habituellement encouragé par les potentiels bailleurs de fonds sollicités pour le rachat.
En effet, s’ils mènent des discussions sur l’entreprise ou reçoivent des informations financières ou aide le manager dans la préparation de son business plan sans avoir obtenu l’accord préalable de l’employeur, les bailleurs de fonds s’exposent eux-mêmes à une action en justice de l’employeur qui pourrait leur reprocher d’être complice dans la violation des engagements par le manager ainsi que dans la déstabilisation de l’entreprise.
En conclusion, des cadres et dirigeants qui souhaitent se lancer dans le rachat de leur entreprise s’exposent à la perte de leur emploi et à des poursuites judiciaires.
L’accompagnement d’un avocat est fortement recommandé dès les prémices d’un tel projet où il faudra savoir aligner des intérêts divergents.
D’un côté, un vendeur, qui voudra vendre vite et au prix le plus élevé, va négocier avec un interlocuteur qu’il sait pouvoir démettre de ses fonctions en cas de profondes divergences.
De l’autre côté, se trouve un manager qui souhaite reprendre au prix le plus bas et qui, pour négocier, va faire en sorte que le vendeur n’ait pas d’autres alternatives crédibles que de céder à son management en place.
Pour en savoir plus sur l’étape suivante d’un MBO, et les difficultés supplémentaires qui se posent aux managers, Voir notre article « MBO: gérer les conflits dans l’équipe d’acquisition ».