La responsabilité pénale des personnes morales en cas de fusion-absorption

Depuis l’arrêt Scor de 2020, la société absorbante peut être tenue pénalement responsable des infractions de la société absorbée. Découvrez les enjeux, les risques et les mesures préventives à adopter lors d'une opération de fusion-acquisition.

Lorsqu’un fonds d’investissement ou un repreneur s’engage dans une opération de fusion-absorption, la question du passif de la société cible est naturellement au cœur des préoccupations. Dettes financières, engagements contractuels, litiges commerciaux… ces éléments font systématiquement l’objet d’analyses approfondies. Mais qu’en est-il de la responsabilité pénale ? Peut-on hériter des infractions commises par une société que l’on absorbe ?

 

Cette question, longtemps considérée comme secondaire dans les opérations de Private Equity et de M&A, s’est imposée comme un enjeu majeur depuis quelques années à la suite d’un revirement jurisprudentiel spectaculaire. En novembre 2020, la Cour de cassation a en effet abandonné le principe d’extinction de la responsabilité pénale de la société absorbée pour consacrer sa transmission à la société absorbante. Une véritable révolution juridique qui bouleverse l’approche du risque dans les opérations d’acquisition.

 

Au cabinet Fieloux avocats, nous observons que cette évolution impose désormais une vigilance accrue lors des due diligences et une adaptation des stratégies de structuration des opérations. À travers cet article, notre équipe spécialisée en Private Equity vous propose un décryptage complet de cette problématique et de ses implications pratiques pour les investisseurs et repreneurs.

 

De l’analyse du cadre juridique actuel aux recommandations opérationnelles, en passant par les perspectives d’évolution, découvrez comment transformer cette contrainte juridique en opportunité stratégique pour vos prochaines opérations.

Le revirement jurisprudentiel : une nouvelle approche de la responsabilité pénale en cas de fusion

L'ancien principe de non-transmission de la responsabilité pénale 

Historiquement, le droit français appliquait strictement le principe de la personnalité des peines, consacré à l’article 121-1 du Code pénal. Selon ce principe, une personne morale ne pouvait être tenue responsable pénalement que de ses propres actes. Par conséquent, la responsabilité pénale de la société absorbée s’éteignait avec sa disparition juridique, et la société absorbante ne pouvait être poursuivie pour des infractions commises par l’entité absorbée avant la fusion.

 

Cette position a longtemps été maintenue par la Cour de cassation, comme en témoigne l’arrêt de la Chambre criminelle, du 20 juin 2000, 99-86.742, qui affirmait clairement que « la société absorbante ne peut être poursuivie pénalement pour des faits commis par la société absorbée avant la fusion ».

Le tournant de 2020 : l'arrêt Scor et son impact

Le 25 novembre 2020, la Cour de cassation a opéré un revirement spectaculaire dans l’arrêt Scor, Chambre sociale, 25 novembre 2020, 17-19.523, en alignant sa jurisprudence sur celle de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Cette dernière avait déjà considéré, dans un arrêt du 5 mars 2015 (n° C-343/13), que la disparition juridique d’une société ne faisait pas nécessairement obstacle à la transmission de sa responsabilité pénale.

 

Dans l’affaire Scor, la Haute juridiction a jugé que « lorsqu’une société absorbe une autre société, elle peut, à certaines conditions, être condamnée pénalement pour des infractions commises par la société absorbée avant la fusion ». Ce changement de cap s’inscrit dans une volonté d’éviter que les fusions-absorptions ne deviennent un moyen d’échapper aux poursuites pénales.

La confirmation et les précisions ultérieures

Cette nouvelle approche a été confirmée et précisée par plusieurs arrêts subséquents, notamment celui du 15 mars 2022. La Cour de cassation y a détaillé les conditions dans lesquelles la responsabilité pénale peut être transmise :

  1. L’opération doit être une véritable fusion au sens juridique
  2. La fusion doit avoir été réalisée pour échapper à la responsabilité pénale (fraude) ou l’absorbante doit avoir poursuivi l’activité économique dans le cadre de laquelle l’infraction a été commise
  3. L’infraction doit être de celles qui peuvent engager la responsabilité d’une personne morale

 

Vous envisagez une opération de fusion-acquisition et vous vous interrogez sur les implications de cette jurisprudence pour votre projet ? Contactez nos avocats pour une analyse personnalisée de votre situation.

Portée et limites de la transmission de la responsabilité pénale

Les infractions concernées

La transmission de la responsabilité pénale ne s’applique pas à toutes les infractions. Elle concerne principalement :

  • les infractions économiques et financières (abus de biens sociaux, corruption, fraude fiscale)
  • les infractions au droit de la concurrence
  • les infractions environnementales
  • certaines infractions au droit du travail

En revanche, les infractions intentionnelles liées à la personne même de la société absorbée ou celles nécessitant un élément moral spécifique peuvent échapper à cette transmission.

L'exception des sanctions pécuniaires

Si la responsabilité pénale peut désormais être transmise, certaines nuances demeurent quant aux sanctions applicables. En particulier, les amendes et sanctions pécuniaires prononcées définitivement avant la fusion restent à la charge de l’entité absorbée.

 

La jurisprudence a toutefois précisé que les sanctions non définitives au moment de la fusion peuvent être mises à la charge de la société absorbante, ce qui constitue un risque significatif à évaluer lors des due diligences.

La dimension temporelle et l'application de la jurisprudence

La Cour de cassation a précisé que la nouvelle règle s’applique :

  • aux fusions réalisées après le 25 novembre 2020 (date de l’arrêt Scor)
  • aux infractions commises avant cette date, mais poursuivies après
  • aux procédures en cours au moment du revirement jurisprudentiel

 

Cette application immédiate a créé une situation d’insécurité juridique pour de nombreuses opérations réalisées sans anticipation de ce risque.

Les implications pratiques pour les opérations de Private Equity et de M&A

Un nouveau paramètre dans l'évaluation des risques

Pour les fonds de Private Equity et les acteurs du M&A, cette évolution jurisprudentielle ajoute une nouvelle dimension à l’analyse des risques lors d’une acquisition. Le passif pénal potentiel devient un élément à intégrer dans la valorisation de la cible et dans la structuration de l’opération.

Les conséquences peuvent être significatives :

  • risque de poursuites pénales pouvant aboutir à des sanctions financières importantes
  • impact réputationnel négatif
  • exclusion potentielle des marchés publics
  • perturbation opérationnelle pendant les procédures judiciaires

Renforcement des due diligences pénales

Face à cette nouvelle donne, les due diligences juridiques doivent être considérablement renforcées pour inclure une vérification approfondie du risque pénal. Cette analyse doit porter notamment sur :

  • l’historique des contentieux de la cible et de ses filiales
  • les secteurs d’activité sensibles (marchés publics, activités internationales…)
  • les procédures de compliance et leur effectivité
  • les signalements internes et alertes
  • les pratiques commerciales et relations avec les tiers
  • les risques spécifiques liés aux juridictions dans lesquelles la cible opère

 

Vous souhaitez sécuriser votre prochain LBO ou votre opération de croissance externe ? L’équipe Private Equity du cabinet Fieloux avocats peut réaliser pour vous une due diligence approfondie intégrant les aspects pénaux. Prenez rendez-vous avec nos spécialistes dès aujourd’hui.

Adaptation des stratégies d'acquisition

Cette évolution juridique incite également à repenser les stratégies d’acquisition :

  1. La structure de l’opération : Dans certains cas, un asset deal peut être préférable à une fusion-absorption pour limiter le transfert de responsabilité.
  1. Les garanties contractuelles : Renforcement des clauses de garantie de passif avec des mentions spécifiques sur le risque pénal, allongement des délais de prescription et augmentation des plafonds d’indemnisation.
  1. L’échelonnement du prix : Mise en place de mécanismes de earn-out ou de séquestre permettant de couvrir d’éventuelles sanctions pénales futures.
  1. Les assurances spécifiques : Développement d’assurances de garantie de passif couvrant spécifiquement le risque pénal, bien que ces produits restent encore rares sur le marché.

Les mesures préventives à mettre en œuvre

Avant l'opération : une phase d'audit approfondie

La prévention commence dès la phase préliminaire de l’opération :

  1. Audit de conformité pénale : Identification des pratiques à risque, des infractions potentielles et des zones de vulnérabilité.
  1. Analyse des procédures judiciaires : Examen minutieux des procédures en cours ou potentielles, y compris les plaintes qui n’auraient pas encore donné lieu à des poursuites.
  1. Évaluation des programmes de compliance : Vérification de l’existence et de l’efficacité des programmes anti-corruption, de concurrence ou de protection des données.
  1. Entretiens ciblés : Discussions avec les dirigeants et responsables clés sur les risques spécifiques identifiés.

Structuration adaptée de l'opération

Sur la base des résultats de l’audit, plusieurs options s’offrent aux investisseurs :

  • Ajustement du prix en fonction des risques identifiés
  • Redéfinition du périmètre de l’acquisition pour exclure certaines activités à risque
  • Choix de la structure juridique la plus adaptée (fusion, acquisition d’actifs, scission préalable…)
  • Obtention de garanties spécifiques de la part des vendeurs

Post-acquisition : mise en conformité et remédiation

Une fois l’opération réalisée, des mesures immédiates doivent être mises en œuvre :

  1. Renforcement ou mise en place de programmes de compliance adaptés aux risques identifiés
  2. Formation des équipes aux problématiques de conformité
  3. Revue des contrats et pratiques commerciales à risque
  4. Mise en place de systèmes d’alerte et de procédures d’enquête interne
  5. Régularisation volontaire de certaines situations si possible

 

Le cabinet Fieloux avocats dispose d’une équipe dédiée à la mise en place de programmes de compliance post-acquisition. Nos experts peuvent intervenir rapidement pour sécuriser votre investissement. Contactez-nous pour un diagnostic initial.

Conclusion

L’évolution de la jurisprudence en matière de responsabilité pénale des personnes morales en cas de fusion-absorption constitue un changement majeur pour les acteurs du Private Equity et du M&A. Ce qui était autrefois considéré comme un « écran juridique » protecteur est désormais devenu perméable, créant de nouveaux risques à intégrer dans toute stratégie d’acquisition.

 

Face à cette situation, une approche proactive s’impose :

  • Renforcement des due diligences pré-acquisition
  • Adaptation des structures d’opération et des garanties contractuelles
  • Mise en place de programmes de compliance robustes post-acquisition
  • Veille jurisprudentielle constante

 

Le cabinet Fieloux avocats dispose d’une expertise 360° en matière de Private Equity et de droit pénal des affaires. Notre équipe pluridisciplinaire vous accompagne à chaque étape de votre opération pour sécuriser vos investissements et prévenir les risques pénaux. Contactez-nous dès maintenant pour bénéficier de notre accompagnement sur-mesure.

 

La vigilance et l’anticipation juridique sont plus que jamais les clés d’une stratégie d’investissement réussie dans ce nouvel environnement juridique. En intégrant ces considérations dès la phase préliminaire de vos opérations, vous transformerez cette contrainte en avantage concurrentiel.

Chaque client est unique, et chaque solution doit l’être aussi. 

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